Bien avant les débats actuels sur les gaz de shale (ou gaz de schistes, si vous préférez!), les habitants des régions aujourd’hui convoitées par l’industrie gazière étaient au fait de l’existence de ce gaz naturel caché sous leurs pieds. Pour la plupart des cultivateurs, ils ont rencontré ces gaz en creusant des puits. Les prospecteurs et certains industriels ont tenté leur chance, croyant que la présence de gaz démontrait inévitablement une présence de pétrole, chose qui fut réfutée par la suite.
Mais ce dont on traite ici s’éloigne de ces considérations: j’ai mis la main récemment sur un rapport géologique gouvernemental daté de 1964 couvrant la région de Yamaska-Aston : T.H Clark, Yamaska-Aston Area, geological report 102, Nicolet, Yamaska, Berthier, Richelieu and Drummond Counties, Québec, 1964, 192 pp. À la page 85, on énumère 4 puits de surface situés dans la région ( 3 à Saint-Zéphirin-de-Courval, 1 à Saint-Thomas-de-Pierreville ) qui se trouvent dans la situation évoquée ci-dessus : des bulles de gaz s’échappaient de ces puits. Pour l’essentiel, l’auteur fait dans l’anecdotique :
« Gas probably struck between overburden and rock. Continuous bubbles. Never used. Occasionally burned at end of pipe merely for demonstration… »
Par contre, le passage s’avère dramatique et m’a beaucoup intrigué :
« Rang St.François, St. Zéphyrin de Courval (…) The well had been plugged prior to about 1930 because of the gas. About that time Mr. Marcotte removed the cover and entered the cistern to unplug the pie. He was instantly asphyxiated. His son, not seeing his father return, also entered the cistern and died. A second son followed and died in turn. A neighbour, investigating this, descended and died at once. The parish priest forbade any others to enter the cistern; instead, they lowered a cat, and brought it up dead. The bodies were recovered after some improvised gas-masks made the descent possible, by which time, also, circulation may have cleared the gas from the cistern to some extent. »
Une rapide recherche me mène sur le site de la paroisse de Saint-Zéphirin ( http://www.saint-zephirin.ca/contes-legendes-faits-vecus.asp ), et j’y trouve une référence légèrement différente :
« Dans le rang St-François, en 1930, M. Ernest Marcotte s’aperçoit, au moment d’abreuver ses animaux, qu’il y a un manque d’eau. Il décide d’aller voir ce qui se passe au puits qui n’a plus trois pieds d’eau. En descendant dans le puits, les gaz toxiques qui s’en dégagent le font suffoquer. Les fils de M. Marcotte décident à leur tour d’aller voir ce qui arrive à leur père. Le même sort les attend. Un ami, Philippe Jutras, veut leur venir en aide mais la mort le frappe, lui aussi, à sa descente.
Mme Marcotte, qui s’inquiète de ne pas voir son mari et ses fils arrivés pour le souper, décide d’aller les chercher. Voyant le couvercle du puits ouvert, elle regarde à l’intérieur et aperçoit les hommes au fond. Elle les appelle et n’en reçoit aucune réponse. Elle demande l’aide du vicaire Allard qui dit à M. Conrad Blanchette de descendre, qu’il n’y a pas de danger. Le médecin lui fournit un masque afin que les émanations de gaz qui s’échappent du puits ne lui soient pas néfastes. Grâce à l’aide de vicaire et celle du médecin, M. Blanchette réussit à sortir les malheureux du puits, mais il est cependant trop tard pour les sauver. Il ne reste plus qu’à fermer ce puits qui a tué quatre hommes. »
À la lecture de cette seconde version, on y gagne le prénom du propriétaire de la ferme où cela s’est passé. Ma première réflexion est d’essayer de dater plus précisément l’événement : 1930, c’est trop vague pour investiguer plus en profondeur. En cherchant sur différents sites de généalogie, je trouve la trace d’un Ernest Marcotte, décédé le 27 mai 1930, et dont deux fils ( Lucien, Albert , 21 et 17 ans respectivement ) sont également décédés en ce même jour de 1930. La corrélation est claire.
Voir au lien suivant : http://www.cjutras.org/CJ_MARCOTTE-E.html#F003048
Un élément, cependant, ne colle pas : dans la version du site web de la municipalité de Saint-Zéphirin, la mère aurait averti le voisin de la disparition du père et des deux fils; or, selon le site de généalogie cité ci-haut, elle serait décédée le 24 mars 1928, plus de deux ans avant l’événement.
Une nouvelle recherche met à jour une version complètement différente de l’histoire… Le quotidien montréalais La Patrie du 27 mai 1930 annonce la nouvelle en page frontispice, avec le titre impressionnant « Quatre hommes sont engloutis dans un puits« , le soir même des événements (source : BANQ):
Des faits complètement différents, donc…! De par la rapidité de cette publication, il faut de toute évidence se méfier de certains détails… Fait notable: aucune mention des gaz suffocants dans cette version. Le lendemain, 28 mai 1930, le même journal commence à raffiner les détails de l’histoire (source BANQ) :
Si on parle toujours d’un effondrement soudain du sol, d’une chute accidentelle dans un puits nouvellement creusé, voilà que le gaz mortel est alors mentionné… Cependant, on est toujours très loin des deux premières versions citées ci-haut.
Qui dit vrai….? La version définitive se trouverait plutôt, à mon avis, dans l’article cité ci-dessous : un reporter de ce journal hebdomadaire s’est déplacé sur les lieux et il a pris le temps de faire l’enquête… Tiré du Petit Journal, édition du 1er juin 1930 (source BANQ) :
La dernière inconnue… à quel endroit exactement dans la municipalité de Saint-Zéphirin-de-Courval s’est déroulé cet événement? On sait que cela s’est passé sur le rang Saint-François, mais encore… Cela nécessite un approfondissement au registre foncier. En inspectant plusieurs index aux immeubles de propriétés situées sur ce rang, j’ai finalement trouvé que le lot #175 de la paroisse de Saint-Zéphirin-de-Courval avait été propriété de M.Ernest Marcotte : c’est donc là que les événements se sont produits…
Un terrible drame, au sein d’une famille qui ne l’a pas eu facile : Ernest Marcotte et Parmélie Allard, mariés en 1892, eurent 14 enfants dont 2 décédés à la naissance; Parmélie est décédée en 1928, laissant le père et 12 enfants; puis, finalement, le jour fatidique du 27 mais 1930, 10 enfants se retrouvent orphelins, dont 4 qui n’étaient pas mariés et sans doute encore à la maison.
Selon l’index aux immeubles ci-dessous, ces enfants eurent comme tuteur Célestin Courchesne, mari de Marie-Anna Marcotte, quatrième plus vieille de la famille. Selon ce même index, Célestin Courchesne aurait renoncé à la ferme, laquelle est retournée entre les mains du Shérif de Richelieu.
Détails à suivre…
Merci de cette recherche. Ernest Marcotte était mon arrière-arrière-grand-père et je fais présentement mon arbre généalogique et je me posait justement la question.
Bien heureux que cette recherche ait été utile pour comprendre vos racines.
Wow, Merci d’avoir mis cela sur internet. Le dernier de cette famille de Marcotte se nommait Elphège qui naquis en 1906. Mon souvenir est que Elphège n’était pas à la maison cet été là et qu’il l’aprit par un télégramme.Quand j’ai commencé à travailler à la fin de mes études collégiale en 1973, je me souviens d’avoir parlé de cela a un de mes collègue d’un âge certain à cet époque. Il m’avait dit qu’il avait entendu parler de cela dans le temps. Maintenant, à la lecture de ces journaux, je comprends qu’il n’était menteur et que ce fut un événement qui avait laissé un souvenir marquant dans l’histoire du Québec. Merci encore au nome de mes frères, soeurs et nos petits enfants pour avoir retrouvé cet partie de l’histoire tragique de notre grand père et oncles.
Merci 🙂 Très heureux que vous avez apprécié!
Je me suis toujours intéressé à mes ancêtres. Ernest Marcotte était mon arrière grand-père. Suite à cette évènement malheureux, lorsqu’on parle de Célestin Courchesne et Marie-Anna (Année) Marcotte sont mes grands parents. Mon père Guy Courchesne fils de Célestin et Année, issue d’une famille de 10 enfants. Il était le dernier de la famille.