La vie sur les fermes, au début du 20ième siècle au Québec, était difficile. C’était particulièrement vrai dans ces régions en développement comme le Témiscamingue, car tout y était à faire – défrichement, installation, subsistance et tout.
Dans le petit village de Béarn, au Témiscamingue, dans la province de Québec, les chiens étaient mis à contribution. Ils grimpaient dans des roues et, un peu comme nos hamsters de compagnie, ces chiens couraient dans des roues de bois et fournissaient le travail requis pour baratter le beurre ou écrémer le lait.
Un tel fait est peu connu. Des recherches sur Google ou dans la littérature ne donnent presque rien. De ce que je comprends, la contribution des chiens, de ce point de vue, est passée inaperçue à ce jour. Elle s’est produite surtout au 19ième siècle, avant l’arrivée des moteurs à combustion et les moteurs électriques. Est-ce que cela était une particularité de certaines régions du Québec, ou est-ce que cela se faisait un peu partout, je l’ignore. Mais on trouve quelques références dont voici deux exemples.
Chien dans une route entraînant une machine à coudre, système breveté par Heinrich Feldt en 1888.
Alternativement, au lieu d’un chien courant dans une roue, certains chiens étaient attelés à des ponts roulants fournissant eux aussi une puissance motrice, souvent pour baratter le beurre ou écrémer le lait.
Mon grand-père, inspiré par les mécanismes alimentés par la puissance canine utilisés en particulier pour les travaux reliés à la laiterie, avait décidé d’aider la famille dans ses nombreuses tâches quotidiennes. Il a donc construit une roue en bois faisant environ 7 pieds de diamètre, installée dans le sous-sol de la maison familiale, et dans laquelle un chien pouvait courir, fournissant l’énergie nécessaire pour activer la laveuse à linge qui s’opérait à l’aide d’un levier.
Essayons de décrire ce système. Tout d’abord, voici ci-dessous ce à quoi ressemblait une machine pour laver le linge en ce début de 20ième siècle.
Il s’agissait ni plus ni moins d’un baril assez bas, dont certaines des planches (ou douelles) formaient les pattes. Le levier se déplaçait de gauche à droite, mouvement transformé en rotation par un système pignon et crémaillère. C’est ce mouvement, très similaire à celui de nos machines actuelles, qui lavait le linge. On imagine la tâche colossale du lavage pour une famille de 14 enfants à l’aide d’un tel appareil… Le danger d’un tel système aussi est réel: mon père rapporte le cas d’un enfant qui, intrigué par le bouchon du baril (visible ci-dessus), tira dessus: il fut renversé par un jet d’eau bouillante et décéda après des jours d’atroces souffrances…
Revenons au système activant ce genre de laveuse à levier. Ci-dessous, un croquis effectué par mon père décrivant le système.
La première roue au sous-sol est celle dans laquelle le chien court. Les côtés de la roue sont ouverts mais du grillage identique à celui utilisé dans les poulaillers évite que le chien ne se blesse sur les mécanismes tournant du système. Le chien court donc dans cette roue sur des planches montées transversalement, et cette roue est solidaire d’une première poulie formée de plusieurs épaisseurs de planches clouées à 90 degrés et taillées en rond. Cette poulie entraîne une seconde poulie plus petite via une courroie de cuir, laquelle comporte un levier décentré (c’est lui qui transforme le mouvement circulaire en mouvement de va-et-vient) qui passe par une ouverture du plancher pour s’arrimer au levier de la machine à laver. Au besoin, on peut refermer l’ouverture dans le plancher. La roue canine est fixée contre la fondation de la maison d’un côté, et est soutenue par une poutre verticale de l’autre côté. Une partie du grillage de la roue comporte une porte avec penture et loquet pour faire entrer et sortir le chien.
Voici en plus de détails la roue canine, vue de face et vue latérale:
Un second système permet de contrôler la vitesse à laquelle le chien court dans la roue, ou pour l’arrêter complètement. Il s’agit de deux planches montées à l’intérieur de la roue, et fixées sur l’axe de la roue qui n’est pas solidaire de la roue tournante. Ces deux planches montées à 90 degrés peuvent être ajustées de façon à ralentir le chien ( en l’empêchant de grimper trop « haut » dans la roue) ou à l’encourager d’aller plus vite ( en le forçant à aller plus « haut » dans la roue). Cet ajustement se fait via deux broches ou cordes qui, elles aussi, passent par une ouverture dans le plancher. La planche pour encourager le chien à aller plus vite comporte des petits clous pour être plus convaincante… lesquels piquent le derrière du chien s’il ne court pas assez vite.
Voici un croquis décrivant ce système de contrôle de vitesse:
C’est ainsi qu’on lavait le linge chez Rosaire et Pauline dans les débuts, dans les années 1930… on imagine qu’un tel système complexe a dû nécessiter des ajustements, des essais, une infinie patience… Le système fut utilisé pendant plusieurs années. Mais bientôt, la motorisation devenait disponible et un tel système n’était plus nécessaire. L’antique laveuse à linge à levier fut remplacée par une machine à laver de marque Horton entraînée par un moteur à essence. Un voisin acheta la roue canine.
Cette laveuse comporte donc un moteur à essence, et on le démarre en appuyant sur une pédale métallique… le grand progrès!