Le 13 juillet 1792, l’arpenteur J. MacDonell est mandaté afin d’établir un relevé de la rivière Bécancour. Il doit en outre clarifier les délimitations de deux townships situés en arrière de la seigneurie de Bécancour, soient ceux d’Aston et de Blanford. De ce voyage, MacDonell laisse deux carnets de notes et de relevés topographiques, soit quelque 130 pages de données concernant principalement la rivière Bécancour ( voir carnet 1 et carnet 2) que la BANQ a numérisés et mis en ligne.
La préparation au voyage débute par la réparation de ses instruments de mesure ( en particulier, une théodolite) et par la recherche d’un équipage pour l’accompagner. En outre, MacDonell doit s’affairer au Surveyor General’s Office situé à Québec afin de consulter la documentation existante décrivant les seigneuries du temps du Régime Français et les lignes des nouveaux cantons. Non seulement il doit consulter ces documents, mais il doit recopier les données qui lui seront utiles afin d’établir son propre parcours.
Au moment du départ de Québec, le 18 juillet 1792, on se rend compte que les bateaux sont si pourris qu’il serait imprudent de les utiliser pour faire le voyage. On trouve de meilleurs bateaux (mais guère mieux), on transfère les provisions et on part pour Bécancour le 20 juillet 1792 à 6 heures du matin par marée favorable. Cette journée-là, on ne se rend guère qu’à Cap Rouge; et encore, c’est au prix d’avoir perdu une partie des provisions par une pluie forte en dépit des précautions prises. Les jours suivants sont passés à remonter le courant sur le Saint-Laurent contre un fort vent dans des bateaux prenant l’eau…! On s’échoue partiellement sur des hauts fonds, on lutte contre le vent… Le 23, on arrête à un endroit nommé Les Écureux (un peu à l’est de Donnaconna); on prend au passage M. Allson, propriétaire du township de Blanford et puis, le 24, on atteint Petite Rivière-au-Chêne (Leclercville) ; finalement, on arrive le 25 en fin de journée à Trois-Rivières, où MacDonell doit s’affairer à faire ajuster ses instruments qu’il a testés en cours de route pour se rendre compte qu’ils étaient imprécis. Durant cette partie du trajet, malgré de longues journées de labeur, on arrive donc à parcourir à peine 30 kilomètres par jour.
À Trois-Rivières, l’équipe est rejointe par le propriétaire du township d’Aston, le colonel Morris. Certains membres de l’équipage ne continuent pas le voyage. On arrive le 28 juillet à Bécancour après quelques errements pour trouver la bouche de la rivière. On se rend compte que les biscuits ( qui constituent l’essentiel pour subsister) sont complètement détrempés; on doit débarquer à terre, les étendre et les faire sécher! On fait parvenir 20 jours de provisions par charette à la maison la plus éloignée au sud de la seigneurie, sur le bord de la rivière Bécancour, et on se ravitaillera à cet endroit en cours de route. On veut voyager léger : moins de provision, meilleure manœuvrabilité des bateaux lorsqu’on accoste sur le rivage pour faire les mesures. Quatre nouveaux membres sont engagés (à Bécancour, semble-t-il) dans l’équipe pour remplacer ceux restés à Trois-Rivières, dont un Huron et un Abénakis. Et c’est donc le 30 juillet 1792 que les relevés sur la rivière Bécancour peuvent finalement être entrepris.
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Les relevés consignés par MacDonell consistent en des mesures de distance et d’orientation, d’un point à l’autre. Pour chaque point, McDonell fait des remarques lorsque certains traits ou caractéristiques de la région sont intéressants.
Ces relevés sont ardus à interpréter pour quelqu’un qui n’est pas arpenteur; heureusement, McDonell effectue dans un second carnet des décompositions orthogonales (i.e. des projections sur les axes nord, sud, est, ouest) qu’il est plus simple d’interpréter; et c’est à partir de ces chiffres que j’ai pu, dans Autocad, retracer une partie du périple de l’arpenteur sur la rivière Bécancour.
Le tracé ci-dessous est celui des 150 premiers points relevés par McDonnel, de l’embouchure de la rivière Bécancour, jusqu’à l’île aux Ormes. On voit que ses mesures (en bleu) se conforment assez bien au tracé de la rivière retrouvé dans Google Maps (en rouge)!
Je refais le même exercice, mais avec cette fois non pas le tracé rouge vectorisé tiré de Google Maps, mais une image de la carte elle-même:
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Voici trois points d’intérêt au long du cours d’eau :
Le premier, le site d’un moulin à vent… En voici une image tel qu’il existe en 2011:
L’existence d’un tel moulin me paraît assez étonnante : situé sur une hauteur, près de la rivière Bécancour… et pourquoi donc installer un moulin à vent sur les berges d’un cours d’eau qui pourrait lui-même activer un moulin? Mystère. Re-mystère sur les origines de ce moulin… des recherches s’imposeront plus tard! Entre temps, un tel bâtiment laisse supposer un établissement assez ancien sur ce site. Voici ce qu’observe McDonell aux environs du site de ce moulin (le moulin est situé vers le point 63, ce relevé est à 72 ) :
At the offroad which leads to Joseph St-Louis commonly called L’Almand, follow said road past l’Almand door (…)
Un lien entre ce Joseph Saint-Louis et le moulin? Qui sait… Encore plus intéressant, au point 70, une note laconique qui me surprend :
Cross a bridge
Un pont ( vraisemblablement de bois) à un endroit tout près du moulin… un petit hameau qui se développe donc là? Possiblement… à explorer dans les archives. Il y aura quelque chose d’intéressant à découvrir là. La présence de quelques maisons anciennes à cet endroit nous montre que cet hameau a sans doute existé.
Voici une image aérienne de ce moulin à vent datant de 1990, provenant des archives de la BANQ ( cote : P690,S1,D90-125, cliquer sur l’image pour le lien Pistard ) :
Second point d’intérêt : la jonction de la rivière Blanche et de la rivière Bécancour. Un site très pittoresque…! À voir absolument lorsque vous vous promenez sur le chemin du Danube. La rivière a taillé son passage dans une très jolie formation rocheuse rouge.
Voici ce qu’en dit McDonell en 1792, un peu laconique devant un paysage pourtant assez joli :
Point that advanced upon the bed of the river & exactly opposite of the mouth of the River Blanche.
Et troisième point d’intérêt, l’île aux Ormes (image tirée du CPTAQ) :
MacDonell est beaucoup plus enthousiaste au sujet de cette île sans nom (à l’époque) au point de relevé 138:
Opposite of the North end of a very pretty small Island with a few trees in the middle of it.
Il relève aussi des plages de sable blanc tout autour de cette île, de même que de nombreuses essence d’arbre : érable, noyer, hêtre et bouleau. Cette île aux ormes m’intrigue… un (autre) objet de recherche intéressant.
Super ce que tu fais! Lâches pas, c’est très intéressant!
Merci! 🙂